Des siècles et des lumières : dans la petite manufacture ornaise où naissent les bougies Trudon

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REPORTAGE - Depuis 1643, le cirier a éclairé la Cour avant de faire rayonner dans le monde entier un savoir-faire unique en matière de bougies décoratives ou parfumées. Visite olfactive dans sa petite manufacture ornaise.

Si excellence rime avec longévité, Trudon en offre un triple exemple : historique, d’abord, puisque depuis 1643 la marque n’a jamais cessé son activité ; humain, ensuite, en permettant à certaines petites mains de l’atelier de production d’y faire toute leur carrière ; technique, enfin, avec des bougies à combustion lente. Lorsqu’on s’invite dans la petite usine de Mortagne-au-Perche (Orne) où sont coulées et façonnées toutes les bougies avant d’être expédiées dans le monde entier, l’aspect flambant neuf des bureaux n’offre pas immédiatement l’impression d’entrer entre les murs d’un joyau de notre patrimoine.

Quelques archives rappellent néanmoins que le cirier a ouvert ses portes à l’heure où Louis XIV accédait au trône. Si Claude Trudon n’était alors que le propriétaire d’une boutique rue Saint-Honoré, où il développait une activité d’épicier et de cirier, son entreprise devint Manufacture royale peu de temps après que Michel Brice Péan de Saint Gilles, son successeur, eut installé à Antony une usine dédiée au blanchissage des cires et à la fabrique des bougies. Sur un présentoir, un diffuseur et une bougie Ernesto embaument la pièce d’une odeur de cuir, de rhum et de tabac. Les deux objets sont ornés d’une même étiquette dorée rappelant le blason qui couvrait déjà le mur de l’ancienne manufacture d’Antony. On y aperçoit une ruche, le sceau de Louis XIV et une devise : « Deo regique laborant » signifiant que les abeilles « travaillent pour Dieu et le roi ».

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Dans le hangar mitoyen, Sylvie et Élodie travaillent, elles, pour leur patron – la marque est, depuis les années 1980, propriété de la famille Blondeau –, mais aussi pour le plaisir d’exercer un métier d’excellence qui fait face à la concurrence chinoise (ou plus largement asiatique) grâce à des matières premières de très grande qualité et un savoir-faire ancestral. En poste depuis vingt ans, la première est l’une des doyennes de la maison. Elle a transmis son savoir à sa collègue afin de former le duo attitré aux plus grosses bougies. Pour couler, à la force des bras, 2,8 litres de cire d’huile de colza dans des verres Vinci de Toscane en forme de seau à champagne et y ajouter cinq mèches de coton, ces ouvrières qualifiées doivent user de gestes précis et d’un œil averti. Deux remplissages sont nécessaires : dès lors que le premier a séché, ces Calamity Jane sortent leur pistolet électrique et traquent les bulles d’air emprisonnées afin de boucher tous les trous avec le reste de cire chaude.

Le verre Vinci provient de Toscane. Pierre-Olivier Deschamps / Le Figaro Magazine

Sur la chaîne de production voisine, les plus petits modèles sont « coulés » mécaniquement mais quelques hommes alertes sont chargés de redresser les mèches avant le second remplissage. Chaque chaîne de production diffuse son lot de senteurs. Gabriel, avec son odeur de feu de bois gourmand, est le préféré d’Élodie. Comme les 24 autres fragrances que propose Trudon, celle-ci ne porte pas le nom d’une fleur ou d’un arôme mais un patronyme lié à l’un des trois grands thèmes de l’entreprise française : la royauté, la religion et la révolution. Si ces codes historiques prennent, en 2025, quelques aspects subversifs, c’est pour montrer un caractère affirmé, tant dans l’appellation que dans l’intensité du parfum qu’elle diffuse.

Fir, à l’odeur de sapin

Et puis cela permet de faire voyager ceux qui les hument en leur racontant une histoire. L’une des nouveautés vendue en exclusivité, Empire, évoque l’essence ardente d’un maquis en feu. Carmélite sent les murs humides des couvents. Dans la même veine qu’Ernesto, Abd El Kader du XIXe, du nom d’un rebelle algérien, a des notes prononcées de thé à la menthe. En 2007, alors que les premières bougies parfumées étaient lancées, Solis Rex permettait de diffuser chez soi l’odeur des parquets de la galerie des Glaces du château de Versailles, et Joséphine rappelait les senteurs des serres que la femme de l’Empereur avait fait construire pour recréer le jardin de son enfance en Martinique. Et à Noël, les fidèles verront revenir Nazareth mêlant oranges et clous de girofle, ou Fir, avec son odeur de sapin.

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De la même manière qu’Émilie Bouge et Yann Vasnier ont créé les trois derniers parfums corporels de Trudon, Midnight Omen, Mystique et 45° (s’ajoutant à la dizaine de parfums proposés depuis 2017), les nez de Grasse travaillent avec autant de composants sur une pyramide olfactive (notes de tête, de cœur et de fond) pour créer les bougies. Jalousement conservées sur des bacs de rétention dans un coin sécurisé de la manufacture, les essences n’ont plus qu’à être mélangées, à 70 degrés, aux cires végétales qui sont venues remplacer la cire d’abeille, devenue espèce protégée. Après avoir établi un partenariat avec leurs voisins du Conservatoire de l’Abeille noire, Trudon a d’ailleurs élaboré un système permettant de rendre la cire de colza plus dure et de conserver une qualité de diffusion et olfactive.

Sur le blazon, la devise «Deo regique laborant». Pierre-Olivier Deschamps / Le Figaro Magazine

Un certificat signé à la main

Dans la ruche que représente la manufacture, un petit groupe d’ouvrières s’activent autour d’un vieux métier à chandelles datant de 1974 pour enfiler des mèches dans des cierges appelés Madeleine comme l’église parisienne qu’ils ont longtemps éclairée ou Royale comme ceux avec lesquels s’éclairait Marie-Antoinette pour écrire à son amant Axel de Fersen le récit de ses derniers jours aux Tuileries. La reine, justement, est entre les mains de Maria. Équipée de quelques outils de potiers, cette employée s’attelle à lisser, polir, lustrer un de ces bustes en cire dont Trudon a fait ses plus belles pièces et qui représentent des objets de décoration vendus entre 130 et 230 euros.

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Dans la galerie de personnages de l’Histoire de France, dont les moules ont été fournis grâce à un partenariat avec la Réunion des musées nationaux, Louis XIV, La Fayette, Louise et Alexandre, les enfants de Brongniart, et un Napoléon un peu bougon côtoient une œuvre intitulée Pourquoi naître esclave ? du nom donné par le sculpteur et peintre Jean-Baptiste Carpeaux. 
Au bout de la chaîne, deux espaces se font face : le conditionnement et le laboratoire. Dans le premier, les plus grosses bougies sont accompagnées d’un certificat signé de la main de Sylvie ou Élodie avant d’être glissées dans les fameuses boîtes bleu Trudon et envoyées dans l’une des 10 boutiques de la marque (une à Mortagne-au-Perche, deux à Paris, deux en Australie, quatre aux États-Unis et une à Shanghaï).

La cire des bougies est désormais végétale. Pierre-Olivier Deschamps / Le Figaro Magazine

Au labo, des bougies brûlent sous la surveillance de chimistes qui mesurent la hauteur de la flamme, son vacillement, la largeur de bassin de fusion, l’émission de suie et de particules avant de laisser mourir le feu ou de l’éteindre selon la formule recommandée : lorsque le bassin de fusion est complet (autrement dit lorsque toute la cire du dessus est liquide) plutôt que de souffler sur la mèche, on la courbe dans la cire chaude avant de la recentrer et d’en couper le bout. Voilà qui éclairera les amateurs.

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