Avec les droits de douane, Donald Trump a trouvé son arme de prédilection. Le président américain l’utilise sans limite, la dégaine à la moindre contrariété. Des fâcheries qui, parfois, n’ont aucun lien direct avec le champ économique. Le Brésil traite mal, à ses yeux, l’ancien président Jair Bolsonaro ? Une pub canadienne lui déplaît ? La menace est brandie. Il a recommencé cette semaine avec le Mexique, auquel il promet une surtaxe de 5 %. La raison ? Un conflit sur l’eau à la frontière.

Sur sa plateforme Truth social, le chef de file des républicains a accusé son voisin de "violer" un accord sur le partage de cette précieuse ressource. Donald Trump exhorte le Mexique de lui fournir plus de 247 millions de mètres cubes (m³) d’ici le 31 décembre, faute de quoi il mettra son chantage à exécution. "Il peut fixer n’importe quel montant de tarifs douaniers, cela ne fera pas apparaître de l’eau qui n’existe pas", balaye Andrew Rudman, expert de l’Amérique latine au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS).

Les Etats-Unis et le Mexique sont liés par des fleuves et des aquifères communs. Un traité, signé en 1944, définit les modalités du partage de l’eau entre les deux nations. Cet accord oblige les premiers à envoyer chaque année au second 1,85 milliard de m³ issus du fleuve Colorado. Soit l’équivalent de 740 000 piscines olympiques. En retour, le Mexique doit fournir 2,16 milliards de m³ en provenance du Rio Bravo (aussi appelé Rio Grande) aux Etats-Unis tous les cinq ans. Or, moins de la moitié de ce quota a été livrée lors du dernier cycle quinquennal, qui s’est terminé en octobre. D’où la colère de Donald Trump. "En réalité, Mexico est en retard sur toutes les périodes depuis 1997", rappelle Jean-Louis Martin, chercheur associé sur l’Amérique latine à l’Institut français de relations internationales (Ifri).

"La sécheresse ne s’arrête pas à la frontière"

Si le Mexique connaît d’importantes variations climatiques, le nord du pays demeure dans l’ensemble très sec - une situation aggravée par les effets du réchauffement global. C’est particulièrement le cas des régions limitrophes de Coahuila, Chihuahua et Sonora, qui ont connu une sécheresse sévère en 2022 et 2023. Les responsables agricoles de ces États ont averti que transférer une eau dont ils manquent déjà provoquerait de la "faim" et d’importants dégâts économiques. "Sauf que le problème ne s’arrête pas à la frontière : les agriculteurs américains souffrent aussi de la situation. Et ils sont peu disposés à des accommodements. La pression pour infliger des sanctions à l’égard du Mexique vient d’ailleurs surtout d’élus texans", pointe Jean-Louis Martin

Chacun cherche à protéger son économie, son industrie et son agriculture. Mais l’ultimatum lancé par Donald Trump pour la fin de l’année est-il seulement réaliste ? "La Maison-Blanche demande de lui fournir plus de 50 % de l’allocation annuelle d’eau en un mois. Même si le Mexique était en capacité de le faire, le Texas voisin ne pourrait pas absorber ou stocker efficacement une telle quantité. Il y aurait forcément du gaspillage", relève Andrew Rudman. La présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, a également avancé une autre contrainte physique : la taille des infrastructures existantes. Le tuyau qui achemine l’eau vers le Rio Bravo est simplement trop petit pour fournir tout le liquide réclamé en temps voulu.

Un accord à renégocier

La cheffe d’Etat, jusqu’à présent habile négociatrice face à son homologue américain, tente toutefois de désamorcer la situation. Car si elle ne peut rien faire contre la sécheresse, elle sait que son pays est loin d’être exemplaire concernant la gestion de l’eau, notamment pour les usages agricoles. "La politique à ce sujet était totalement irresponsable, explique Jean-Louis Martin, de l’Ifri. Claudia Sheinbaum a pris des mesures fermes sur les questions du système des concessions (NDLR : des droits de prélèvement) et de la tarification de l’eau, ce qui a suscité des protestations internes. D’une certaine manière, Donald Trump apporte de l’eau à son moulin dans sa volonté de réforme. Même si cela ne résout pas le problème immédiat qu’il lui pose."

Comme pour l’immigration ou le trafic de drogue, les tensions sur l’accès à l’eau ressurgissent à intervalle régulier entre les deux voisins. Un pic avait été franchi en mars dernier. Pour la première fois en plus de cinquante ans, le gouvernement américain avait refusé de transférer de l’eau du fleuve Colorado à la ville mexicaine de Tijuana, alors que ses deux millions d’habitants souffraient d’une grave pénurie. Une illustration de la coopération qui s’effrite sous la pression du changement climatique.

"Il est évident qu’un accord signé en 1944 ne tient plus la route aujourd’hui", considère Jean-Louis Martin. "Il a été rédigé à une époque où la densité de population était beaucoup plus faible, et la consommation d’eau moindre. Il faudrait sérieusement réexaminer la manière dont elle est gérée des deux côtés de la frontière. Et il serait logique que les Etats-Unis et le Mexique le fassent en collaborant", ajoute Andrew Rudman.

C’était l’approche de long terme, et moins punitive, privilégiée par l’administration Biden. Sa solution "consistait à investir davantage dans le bassin du fleuve Colorado, en incitant les Etats de la Californie, de l’Arizona et du Colorado à conserver 3,7 milliards de mètres cubes d’eau jusqu’en 2026 en échange d’un milliard de dollars de financement fédéral", écrit dans The Conversation Natasha Lindstaedt, professeure à l’Université d’Essex (Angleterre). Mais le président démocrate n’était pas ouvertement climatosceptique, contrairement à son successeur. Dès lors, comment renégocier un accord avec un gouvernement qui nie la raison principale de cette révision ? C’est le casse-tête que devra résoudre Claudia Sheinbaum, ancienne autrice du GIEC. Au risque de multiplier les coups d’épée dans l’eau.