Les rites de renouveau, une célèbration du vivant

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Bonne année, bonne santé ! Adresser ces vœux pour 2026 est l’occasion de rappeler que les rites de nouvel an sont toujours des rites de vie : des instants où individus et collectifs sollicitent l’aide d’entités diverses (dieux, entités de la nature, ancêtres…) pour obtenir santé, fécondité et prospérité. En France nous célébrons le passage à l’année nouvelle le 31 décembre, mais ailleurs, selon les calendriers et les traditions, cet événement a lieu à des moments différents. Cette diversité temporelle n’empêche pas d’identifier des traits communs.

L’anthropologue Salvatore D’Onofrio, de l’université de Palerme, en Italie, et du laboratoire d’anthropologie sociale du Collège de France, à Paris, s’intéresse ainsi aux rites du nouvel an pratiqués par diverses communautés coexistant à Paris – chinoise, hindoue ou issues des grandes religions monothéistes. Dans son ouvrage Le Matin des dieux, il étudie les autels cérémoniels dressés pour célébrer Norouz, le nouvel an persan, notamment dans la tradition zoroastrienne. La fête est célébrée au moment de l’équinoxe de printemps, vers le 21 mars.

Parmi les éléments symboliques disposés sur ces autels (pain, épices, fruits…) la présence de pousses de blé germées (sabzeh) retient l’attention : ces végétaux condensent sur une surface miniature le processus vital de la croissance, évoquant et stimulant le renouveau produit par la vie à l’échelle de la nature.

Cette volonté de faire croître du vivant ouvre des pistes comparatistes originales. Salvatore D’Onofrio en retrouve les racines dans la religion zoroastrienne, apparue au Moyen-Orient au deuxième millénaire avant notre ère : le culte est centré sur la vénération du dieu Ahura Mazda et l’enseignement attribué au prophète Zoroastre. L’anthropologue montre que la séquence consistant à cultiver des pousses, puis à les jeter à la mer ou dans un cours d’eau (la Seine, à Paris) pour expulser l’infortune, se retrouve de l’Inde à l’Europe occidentale, dans le bassin méditerranéen, de la Grèce ancienne aux trois grandes religions monothéistes.

Mais cette mise en scène du vivant dépasse les seuls rites de nouvel an. Dans le numéro de Terrain intitulé « Animal culte », l’historien Pierre-Olivier Dittmar, de l’École des hautes études en sciences sociales, et l’anthropologue Vanessa Manceron, du CNRS, rassemblent des études interrogeant la place des animaux dans les rituels contemporains. Dans certains cas, les non-humains sont amenés à participer pour que leur soit accordée la même aide, comme lors des messes d’animaux. Dans d’autres, relevant d’une logique sacrificielle, les animaux sont présents pour être tués. La sensibilisation actuelle à la souffrance animale entraîne toutefois des innovations rituelles : par exemple, des peluches remplacent les tigres dans des rites bouddhistes, ou bien des charcuteries sont offertes à la place d’un cochon abattu dans certaines cérémonies provençales.

Tous ces rites révèlent une tension inhérente au vivant. Mettre en avant la vitalité des plantes ou des animaux, c’est aussi montrer leur caractère éphémère : les pousses fanent et sont jetées – pour expulser l’infortune –, les animaux deviennent inertes après leur sacrifice. Pour résoudre cette tension, une stratégie consiste à renouveler cycliquement la présence du vivant, comme dans les fêtes annuelles. Mais cela se fait aussi selon des rythmes plus courts, comme je l’ai observé lors de mes enquêtes dans l’État d’Oaxaca, au Mexique. Dans certaines communautés amérindiennes, des familles investies d’une charge particulière viennent fleurir les églises chaque matin. Dans cet effort pour renouveler des fleurs fraîchement coupées, c’est la vitalité des liens sociaux qui s’affirme, comme si prendre soin du vivant était une manière d’assurer la cohésion d’un collectif incluant humains et non-humains.

Je terminerai donc par un vœu : dans notre admiration pour les êtres vivants et la biodiversité, n’oublions pas de reconnaître aussi l’inventivité des humains, qui explorent sans relâche l’infinité des manières de faire société avec le vivant.

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