« La crue centennale sur Paris, c’est 160 stations de métro inondées, 30 milliards d’indemnisations de dégâts, c’est le blocage de l’économie nationale… C’est catastrophique donc il faut l’empêcher ! ». Patrick Ollier, président à la fois de la Métropole du Grand Paris et de l’Etablissement Public Territorial de Bassin Seine Grands Lacs, pose clairement les enjeux de sa visite dans l’Aube. Jeudi 11 décembre, l’ancien président de l’Assemblée Nationale a chaussé ses bottes pour découvrir la Zone d’Expansion des Crues (ZEC) du Brévant, un ruisseau qui reçoit lui-même 9 petits affluents.
Cette ZEC se situe dans une forêt du massif de Rumilly-Chaource, dont la propriété est détenue aux trois quarts par des organismes publics, notamment Seine Grands Lacs. A l’origine de ce projet, des plaintes d’agriculteurs confrontés en aval à des inondations récurrentes.
« On s’est rendu compte que l’eau dévalait très vite de la forêt vers les prairies. Les agriculteurs ne comprenaient pas pourquoi, et nous non plus ! », se souvient Matthias Alloux, chef de projet à l’EPAGE de l’Armançon. Cet établissement public est chargé de la gestion des cours d’eau et de la prévention des inondations dans ce large secteur qui couvre 10 % de l’Aube, 40 % de la Côte d’Or et 50 % de l’Yonne.
Grâce à de nouveaux outils typographiques, un réseau de drainage a pu être identifié, conçu initialement pour des raisons économiques. « Plus de 60 km de fossés avaient été créés dans les années 1960-1970 pour évacuer l’eau très vite de la forêt, cultiver le bois et faire rentrer les engins en forêt plus facilement, détaille-t-il. Sauf qu’aujourd’hui, avec le dérèglement climatique, ça avait des conséquences majeures, notamment le dépérissement de la forêt et des manques d’eau sévères dans les cours d’eau, mais aussi des périodes d’inondations de plus en plus fréquentes. »
Des cours d’eau restaurés à leur état d’origine, des fossés bouchés…
Pour corriger le tir, l’Epage de l’Armançon a usé de la nature elle-même pour mettre en place des solutions pragmatiques. « Nous avons travaillé notamment sur la restauration des méandres, les courbes naturelles des rivières, car elles avaient été supprimées par le passé, explique Matthias Alloux. On les a reconnectées et on est venu supprimer les fossés de drainage en mettant en place plus de 3 000 bouchons, et tout ça permet au cours d’eau de réinonder, de ne plus se débarrasser de l’eau, et on a redonné son rôle d’éponge à la forêt ».
Après une année d’études, le chantier a duré 6 mois et nécessité un investissement d’environ 300 000 euros pour restaurer 24 km2. Un coût largement acceptable pour les collectivités face aux bénéfices qu’engendrent ce type de travaux pour les agriculteurs, la qualité et quantité d’eau disponible, la gestion des crues… sans oublier la biodiversité, confrontée de plus en plus souvent au stress hydrique avec les périodes de sécheresse qui se multiplient.
« Si on bénéficie de fortes précipitations, elles ne sont pas forcément régulières et l’eau partait beaucoup trop rapidement en aval », éclaire Nicolas Quentin, technicien forestier à l’office National des Forêts et adjoint à l’Unité territoriale de Rumilly-les-Vaudes. « Notre intérêt, c’était de laisser le plus longtemps possible l’eau en forêt pour permettre aux arbres de se régénérer et d’en stocker le plus possible ».
« En 35 ans, on a perdu du temps sur la crue centennale qui va nous tomber sur la figure »
Pas moins d’une cinquantaine de projets de ce type sont identifiés dans les années à venir dans le bassin-versant de l’Armançon, tout cela en amont des différents affluents de la Seine. « C’est également la Métropole du Grand Paris qui se trouve préservée parce qu’on arrive à retenir l’eau sur nos territoires », rappelle Matthias Alloux.
Un sentiment partagé par le président de la grande intercommunalité parisienne Patrick Ollier. Depuis son arrivée à la tête de Seine Grands Lacs, le nombre de Zones d’Expansion des Crues a bondi de 5 projets jusqu’à 347 réalisations. Et des centaines d’autres zones potentielles sont déjà identifiées, en attendant des moyens humains et financiers. « J’ai voulu qu’à partir des 4 grands lacs qui retiennent 830 millions de mètres cubes d’eau, on arrête de se gratter la tête pour savoir ce qu’on peut faire en plus. Parce que depuis 35 ans, ni l’État ni les élus n’ont fait quoi que ce soit de plus que le dernier lac qui a été réalisé, le lac Temple-Amance dans l’Aube. Et en 35 ans on a perdu du temps sur la crue centennale qui va nous tomber sur la figure » déplore-t-il.
De l’Yonne à la Marne en passant par la Seine, 9 millions de personnes sont potentiellement concernées par un risque d’inondation majeure. Avec la ZEC du massif de Rumilly-Chaource, plus de 90 000 m3 d’eau seront ainsi retenues par les réaménagements opérés. « Pour moi, c’est considérable, car je cours après les m3, souffle Patrick Ollier. Ils se protègent, eux, par rapport à leurs propres risques d’être inondés, mais ils nous protègent, nous aussi, au niveau de l’aval ».
Les agriculteurs soutenus dans leurs investissements contre les inondations
Le président de la Métropole du Grand Paris entend rendre la pareille à toutes les collectivités porteuses d’effort, situées en amont de l’île de France, grâce à la taxe Gemapi intégrée au calcul de l’impôt foncier.
« Ça consiste à indemniser les agriculteurs en signant des chartes avec les chambres d’agriculture en cas de surinondation. Ou, comme ce matin à Châtillon-sur-Seine (Côte d’Or), j’ai amené un chèque de 10 millions d’euros pour des travaux sur 10 ans dans le cadre de ce qu’on appelle les paiements de services environnementaux (PSE). Les agriculteurs qui acceptent d’entrer dans ces services pour l’environnement vont recréer des haies, curer des rues… En résumé, effectuer des travaux qui limitent aussi la divagation de l’eau et le ruissellement rural qui était très préoccupant aussi. »
Avec tous ces efforts, les effets d’une crue centennale à Paris pourraient être fortement pondérés dans toutes les zones inondables, notamment dans l’Aube. D’autant que Seine Grands Lacs travaille en parallèle à l’aboutissement du Casier de la Bassée, un lac artificiel situé en Seine en Marne, activable en cas de crue. « C’est une retenue qui fait plus de 300 ha au sol avec 7 km de digue et qui va retenir 10 millions de m3. Je prends l’exemple ma ville de Rueil-Malmaison où je suis maire. Avec 8 cm de moins par rapport à la crue de 2018, je ne suis pas inondé. Et là, avec la Bassée, le casier pilote de la Bassée, c’est 15 cm de moins en aval ».




