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Les terres agricoles couvrent près de la moitié de la surface habitable terrestre. Ces paysages dominés par les humains participent au déclin de la biodiversité. Si, en premier lieu, c’est l’usage des pesticides qui compromet la survie des insectes pollinisateurs, on sait aussi que le manque d’habitats est un facteur majeur de leur déclin. Or, les objectifs affichés par les politiques de conservation pour y remédier sont peu étayés. Par exemple, comment définir la superficie minimale requise pour que les populations se maintiennent ? La stratégie de l’Union européenne pour 2030 vise 10 % d’éléments paysagers à haute diversité dans les zones agricoles. Idem pour la Convention des Nations unies sur la diversité biologique avec 10 % de couverture naturelle dans les terres agricoles. Est-ce suffisant ? Et la quantité d’habitats semi-naturels (prairies, haies, forêts…) prime-t-elle toujours sur leur qualité dans ces milieux agricoles ? En analysant près de 180 000 données publiées sur les abeilles sauvages et les syrphes (une famille de mouches), les deux groupes les plus importants en matière de pollinisation, mais aussi sur les bourdons et les papillons, dans dix-neuf pays (États-Unis et Europe) et 1 250 sites d’observation, Gabriella Bishop, de l’université de Wageningue, aux Pays-Bas, et ses collègues apportent de premières réponses quantitatives.
« L’originalité de cette analyse, avec ce jeu de données, est de croiser quantité et qualité des habitats », souligne Alice Michelot-Antalik, professeuse en agroécologie à l’université de Lorraine. Que recouvrent ces notions ? Dans cette étude qui cible les pollinisateurs, les chercheurs définissent la quantité comme une proportion d’habitats semi-naturels dans un rayon de 500 mètres autour de chaque site où les insectes ont été capturés. Pour ce qui est de la qualité, ils l’évaluent en fonction de deux mesures : l’abondance en fleurs et la diversité d’espèces fleuries.
Gabriella Bishop et ses collègues ont ensuite modélisé, par groupe de pollinisateurs, comment le nombre d’insectes évolue en fonction de la quantité et de la qualité de l’habitat. Ils ont ainsi repéré un seuil d’habitats semi-naturels en zone agricole en deçà duquel, pour soutenir les populations, il est plus efficace d’augmenter la quantité d’habitats semi-naturels que leur qualité. Dit autrement, il est crucial dans un premier temps d’atteindre une certaine proportion d’habitats semi-naturels pour assurer la préservation de ces insectes. Au-delà de ce seuil, il est plus important d’améliorer leur qualité.
Résultat : ces seuils sont très variables selon le groupe de pollinisateurs et la région. Dans les régions tempérées, le seuil est de 37 % pour les papillons alors qu’il est d’environ 5,5 % pour les syrphes, une famille de mouches. Cela signifie que les papillons sont des insectes très sensibles à la surface d’habitats semi-naturels, amenés à fortement décliner dans des paysages agricoles simplifiés et dominés par les grandes cultures. À l’inverse, les syrphes s’avèrent surtout dépendants de l’abondance et de la diversité en fleurs des habitats. Quant aux abeilles solitaires et aux bourdons, le seuil est respectivement de 16 et 18 %. Dans les régions tropicales, il est de 38 % pour des abeilles tropicales, mais ces résultats sont à confirmer en raison du peu de données intégrées dans l’étude.
« Pour la majorité des groupes, on avait jusque-là noté une nette augmentation des pollinisateurs jusqu’à environ 20 % d’habitats semi-naturels, note Alice Michelot-Antalik. Le fait que les seuils soient moins élevés pour bon nombre de pollinisateurs souligne l’importance de travailler sur la qualité de ces habitats, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. » En France, la proportion d’habitats semi-naturels est variable en fonction des systèmes agricoles : moins de 10 % dans les paysages de grande culture, souvent plus de 25 % dans les paysages de polyculture et élevage où dominent les prairies.
« Ce travail majeur a l’intérêt de fournir des éléments quantitatifs pour les politiques de conservation », conclut-elle, même si elle pointe plusieurs limites notamment sur la définition de la notion de qualité qui, par exemple, ne prend pas en compte l’apport nutritif en matière de nectar et de pollen des différentes espèces. L’étude ne distingue pas non plus les différents milieux alors qu’une haie ou une prairie ne contribuent pas de la même façon à la qualité de l’habitat. Retenons qu’une couverture de 16 % d’habitats semi-naturels pourrait efficacement soutenir les populations des pollinisateurs principaux. Cet objectif est bien au-delà des recommandations actuelles mais pas non plus hors de portée. Et qu’il faudrait améliorer la quantité de fleurs dans nos paysages, qui est très faible.
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