En matière de recommandation alimentaire, voilà une contradiction qui ne manque pas de sel. Alors que le gouvernement a renoncé au dernier moment à recommander de "limiter les produits ultra-transformés" dans la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), comme révélé par la cellule investigation de Radio France fin novembre, un rapport mené par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) l’écrit noir sur blanc.
Effets nocifs sur la santé
Les deux organismes publics viennent d'évaluer les deux programmes publics actuellement consacrés à l’alimentation, soit le 3e Programme national pour l’alimentation et le 4e Programme national nutrition santé. Le rapport commence par regretter que ces dispositifs "privilégient encore trop l’action sur les comportements par rapport à l’action sur l’environnement alimentaire", avant de relever des évolutions inquiétantes : près de 10 millions de personnes, soit 18 % des adultes, et 4 % des enfants, sont en situation d’obésité en France en 2024, dont 1 personne en difficulté économique sur 4.
Le rapport établit le constat qu’une part majeure de l’alimentation joue un rôle déterminant dans nombre de maladies chroniques (diabète, cancer, maladies cardio-vasculaires). Puis adresse ses recommandations. Tout d’abord, limiter les teneurs en sel, sucres, graisse et additifs des aliments. Mais aussi, donc, limiter la consommation d’aliments ultra-transformés ainsi que leur promotion publicitaire, pour protéger enfants et adolescents.
Cette qualification d’aliments ultra-transformés désigne les additifs qui ne sont pas utilisés en cuisine traditionnelle, telles que les émulsifiants, le sirop de glucose, les arômes, les colorants alimentaires, les conservateurs, qui se retrouvent notamment dans les céréales du petit-déjeuner, les snacks, les sucreries, les charcuteries industrielles, les desserts lactés, les biscuits industriels, les nuggets ou les sodas… Leurs effets nocifs sur la santé sont pourtant documentés, notamment par une étude de The Lancet publiée mi-novembre, qui pointe une augmentation des risques de maladie de Crohn d’environ 90 %, d’obésité abdominale de 33 %, de dyslipidémie (concentration sanguine en lipides trop élevée) de 26 %, de dépression de 23 %, de maladie rénale chronique de 22 % ou d’obésité de 21 %.
L’influence d’un lobby
Comme le révélait France Inter, c’est à la demande du ministère de l’Agriculture, et à la suite de l’arbitrage de Matignon, que cette référence de "limiter les produits ultra-transformés" a été évincée du Snanc. Pourtant, dans une première version du texte, adopté début septembre par le gouvernement de François Bayrou, la formule apparaissait. Les ministères de la Santé et de la Transition écologique, eux, y étaient favorables.
La radio publique y voit l’influence de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), un lobby dont les membres ont été reçus par Emmanuel Macron en 2024 pour "exprimer des inquiétudes sur le qualificatif injuste d’alimentation dite 'ultra-transformée'". De façon encore plus édifiante, France Inter révélait que le directeur de communication de l’Ania, Benjamin Le Sant, avait été nommé le 17 novembre conseiller technique en charge de la presse au sein du cabinet du Premier ministre Sébastien Lecornu. Soit quelques jours avant que la référence aux produits ultra-transformés ne soit retirée du Snanc.
Parmi les autres préconisations de l’Igas et de la CGAAER, figurent la prise en compte du "risque chimique associé à l’alimentation" (pesticides, contaminants environnementaux comme le cadmium, les emballages plastiques), la réduction des inégalités nutritionnelles sociales et territoriales, avec une vigilance marquée pour les outre-mer, ou la pleine intégration des risques climatiques et environnementaux. Le rapport prône en outre un soutien "très fort" à l’agriculture biologique. Là encore, il s’inscrit en faux avec la politique gouvernementale, qui a consisté en la diminution des aides à la filière. En mai, l’Agence bio s’est ainsi vue retirer 15 millions d’euros de financement.

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