Budget 2026 : Sébastien Lecornu a-t-il tué la fonction de Premier ministre ?

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Attention, la colère gronde. La semaine prochaine, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait être définitivement voté par le Parlement, mais il ne faut pas s’y méprendre. La semaine prochaine aussi, des voix vont se faire entendre, y compris publiquement – et pas n’importe lesquelles -, pour tirer le signal d’alarme. Ce n’est pas parce que le groupe Renaissance a voté à l’unanimité de ses 91 membres en faveur du texte que les macronistes suivent Sébastien Lecornu.

Déjà ces jours derniers, on a entendu deux anciens Premiers ministres dans le champ des raisonnables mettre le doigt où cela fait mal. Bernard Cazeneuve a souligné l’incroyable contradiction de la période récente : "En deux mois, nous sommes passés d’une situation où le Premier ministre nous disait 'Il faut un budget pour faire des économies' à un contexte où on nous explique qu’il faut des dépenses pour avoir un budget !" C’est un fait : les Français ont entendu le pouvoir leur expliquer que la France était dans un état critique. On se souvient des efforts fournis par François Bayrou pour faire œuvre de pédagogie sur ce point. Et voici que le Parlement vote un texte sans aucune économie. Comment les citoyens s’y retrouveraient-ils ? Comment le Parlement y gagnerait-il ses galons de responsabilité ? Il faut être présidente de l’Assemblée nationale pour saluer, comme l’a fait Yaël Braun-Pivet, "une victoire pour l’Assemblée nationale et pour la démocratie".

De son côté, Edouard Philippe a rappelé que le Premier ministre "n’est pas l’animateur de la vie parlementaire". C’est la question qui monte : pour se sauver, Sébastien Lecornu s’est-il sabordé, et avec lui a-t-il tué la fonction de Premier ministre ? Lui qui ne cessait de vanter les charmes jamais démodés de la Ve République n’aurait pas seulement renoncé au fameux article 49.3, à la demande d’Oliver Faure. Il aurait scié une autre branche majeure de notre Constitution. "Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation", dit l’article 20. Cela a-t-il vraiment été le cas lors de la discussion sur le PLFSS ?

"Je n’ai pas compris ce que j’ai voté"

Certains députés racontent ne jamais avoir vu cela : la construction d’un budget au fil des discussions amendement par amendement, sans jamais qu’un cap ne soit fixé, qu’une cohérence ne soit affirmée. "On avait vraiment l’impression que le gouvernement ne pensait rien de l’élaboration du budget. Le Parlement laissé en pilotage automatique est une aberration", observe un membre éminent de la Macronie, qui ajoute : "Faire preuve d’humilité, c’est une chose. Dire 'Je retire les mains du volant', c’en est une autre. A quoi sert d’être chef du gouvernement si on n’est pas chef ?" Abandon du 49.3 et de la réforme des retraites sans solde de tout compte avec les socialistes : le compromis est un mot qui commence mal, comme disait l’autre.

C’est pourquoi le communiqué du Premier ministre à l’issue du vote ne passe pas, qui salue "le sens de l’intérêt général" : "Je veux redire la qualité du projet de loi de financement pour la Sécurité sociale qui vient d’être adopté : ce n’est plus la copie du gouvernement, mais cela reste un texte solide, utile, protecteur, qui améliore concrètement notre sécurité sociale." Au sein de chaque groupe, les calculs des uns et des autres – par exemple à LR, où sévit plus que jamais la bataille entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez – ont souvent déterminé l’attitude de chacun plus que le contenu du texte.

Aux yeux de certains, Sébastien Lecornu réinvente même une forme de populisme. "Les Français en ont assez du désordre. Ils veulent que l’on avance, que l’on décide, que l’on protège", a remarqué le Premier ministre mardi 9 décembre. Il mise sur l’exaspération des citoyens pour amener les parlementaires à voter pour, quitte à faire n’importe quoi (ou presque). C’est un député, ancien ministre pourtant, qui confie à propos du fameux amendement sur la CSG sur le patrimoine : "Je n’ai pas compris ce que j’ai voté quand j’ai voté."

Les convictions laissées au placard

Une chose est certaine, et même deux puisque l'heure n'est pas aux économies : sur le fond de la politique menée, les convictions ont été laissées au placard, seuls ont compté les petits arrangements permettant d’aboutir à un deal. Sur la forme, ce qui s’est passé est l’exact contraire de ce qui se passait au début de la présidence Macron. A l’époque les députés n’avaient qu’une consigne : obéir. "Vis-à-vis de tout le monde, c’était l’écrabouillement du Parlement. Fermez vos gueules, on fait ce qu’on veut", se souvient un pilier de la majorité de l’époque. L’Elysée demandait même au président du groupe macroniste d’interdire tout contact avec telle ou telle personnalité. "Ah oui ? Et je fais comment ? Une note de services ?", avait répondu celui-ci.

C’est l’histoire d’un cruel tête-à-queue. Sébastien Lecornu a peut-être réussi son pari. Pyrrhus aussi était roi. Il avait également remporté une bataille. On connaît la suite.

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