Les entrepreneurs américains de la tech devraient se montrer plus prudents. Ils ont des produits d’une qualité inégalée. Mais les Européens pourraient se lasser d’acheter chez un vendeur qui les traite si mal. Rien que cette semaine, ils ont enduré de bien gratuites vexations.

Malgré les demandes élyséennes, Meta a refusé de retirer une vidéo générée par IA qui laissait croire qu’un putsch militaire avait renversé Emmanuel Macron. "Ces gens-là se moquent de nous et ils nous mettent en danger", s’est insurgé le président de la République. Les réseaux sociaux américains ne font même plus semblant de lutter contre les faux contenus amplifiés par des armées de bots qui dénigrent l’UE. La vie des Américains - mais aussi des Chinois et des Russes - serait, il est vrai, tellement plus simple si les 27 se déchiraient et devaient demain négocier individuellement avec eux.

La fin de non-recevoir de Meta n’est pas le seul camouflet essuyé cette semaine par l’Europe. Le 16 décembre, le représentant de la Maison-Blanche pour le Commerce menaçait de représailles des fleurons technologiques européens tels SAP, Spotify ou Mistral si Bruxelles n’allégeait pas ses régulations en matière technologique. Une séquence d’une estomaquante mauvaise foi. Les textes européens traitent sur un pied d’égalité toutes les plateformes web, quel que soit leur pays d’origine - c’est leur envergure qui détermine le niveau de sécurité qu’elles doivent respecter. Le plus ironique, ici, est que la tech américaine se plaint de son meilleur client à l’international.

L’épargne européenne file aux Etats-Unis

Car les Européens financent généreusement les Gafam. Chaque année, des centaines de milliards d’euros d’épargne traversent l’Atlantique et "alimentent en actions les entreprises américaines qui se renforcent et reviennent en Europe acheter nos entreprises européennes avec notre propre argent", se désolait l’an dernier sur France 24 l’ancien Premier ministre italien et auteur d’un rapport sur le marché unique européen Enrico Letta. L’investissement total dans les actions américaines par les ménages de la zone euro est passé de 372 milliards d’euros en 2020 à 821 milliards en 2024, pointait en mars, dans Les Echos, les eurodéputés Pascal Canfin et Stéphanie Yon-Courtin.

Dans la sphère numérique, les Etats-Unis sont le fournisseur quasi exclusif de l’Europe. N’était le chinois TikTok, ils régneraient sans partage sur leurs réseaux sociaux (Instagram, Facebook, X, YouTube, etc.). Le Vieux Continent est également accro aux outils de cybersécurité de l’Oncle Sam. Et ne parlons même pas de sa dépendance aux logiciels et aux clouds : elle lui coûte 265 milliards d’euros chaque année, pointe une étude du cabinet Asterès pour le Cigref.

La riposte des Européens

Les Américains auraient intérêt à préserver cette relation déséquilibrée sans trop s’en vanter. Mais le retour de Donald Trump leur fait penser qu’ils peuvent pousser encore leur avantage. Une avidité qui n’est pas sans risque. L’immense marché des 27 – plus grand que celui des Etats-Unis - est une composante essentielle de la bonne santé des colosses technologiques américains. Il pourrait se muer en puissant tremplin pour les entreprises européennes si les 27 donnent enfin à celles-ci la liberté de se déployer dans n’importe quel Etat, avec un corpus unique de règles. C’est tout l’enjeu du projet de "28e régime".

Sous la houlette de la commissaire aux services financiers, Maria Luís Albuquerque, l’union de l’épargne et de l’investissement (UEI) progresse également. Le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau le relevait dans un récent discours, préconisant de prioriser les mesures qui "augmenteront les fonds propres et le capital-risque". Par exemple, la création d’un superviseur européen à la manière de la SEC américaine, le développement de fonds de pension européens, celui de partenariats public-privé ambitieux en matière de capital-risque ou encore le lancement de produit d’épargne accessibles aux ménages. Un chantier complexe, qui pourrait remettre l’Europe sur de bons rails. Et la sortir de la relation sadomasochiste qu’elle entretient avec la tech américaine.