Médicaments anti-obésité : la France aura-t-elle les moyens de les rembourser ?

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Environ 2,8 milliards d’euros sur trois ans. Le chiffre est là, énorme, écrit noir sur blanc dans un rapport officiel de la Haute autorité de santé (HAS) passé sous les radars dans la torpeur de l’été. Un montant faramineux, qui donne une idée du casse-tête politique et financier auquel sont confrontés les pouvoirs publics depuis l’arrivée sur le marché des nouveaux traitements de l’obésité – Wegovy du laboratoire danois Novo Nordisk et Mounjaro de l’américain Eli Lilly. Des médicaments très efficaces, mais aussi très coûteux – de l’ordre de 300 euros par mois actuellement en pharmacie – et touchant potentiellement un vaste public, puisque 10 millions de Français se trouvent en situation d’obésité : le cocktail s’annonce explosif pour les finances publiques, juste au moment où le gouvernement cherche plus que jamais à contenir l’envolée des dépenses de santé.

Alors que les attentes sont fortes, la France aura-t-elle les moyens de s’offrir ces médicaments ? Depuis 2022, date à laquelle la première demande de remboursement a été déposée par Novo Nordisk, les pouvoirs publics tergiversent, s’interrogent, demandent des données complémentaires, examinent et réexaminent le dossier. Un long feuilleton à rebondissements, qui devrait toutefois trouver son épilogue début 2026.

A la décharge des autorités françaises, elles ne sont pas les seules à se montrer embarrassées par cette révolution thérapeutique. Un peu partout dans le monde, les gouvernements temporisent. En Europe, seuls le Royaume-Uni et la Suisse ont décidé de rembourser ces injections, mais dans des indications bien encadrées, et pour une durée limitée (respectivement de deux ans et trois ans). Même le Danemark, où se trouve pourtant le siège de Novo Nordisk, n’a pas franchi le pas. Aux Etats-Unis, les assureurs publics Medicare et Medicaid prennent en charge ces médicaments, mais là aussi dans des indications restreintes, tout comme certaines assurances privées, au cas par cas.

Après des années de hausse, le nombre de personnes obèses commence à diminuer aux Etats-Unis.

Après des années de hausse, le nombre de personnes obèses commence à diminuer aux Etats-Unis.

© / Lucile Laurent / L'Express

Dans de nombreux pays, les patients désireux de perdre du poids se sont tout de même précipités sur les seringues, quitte à les acheter à leurs frais. De l’autre côté de la Manche, où les prix de vente grand public démarrent à 99 livres (112 euros), deux millions de Britanniques s’injectent déjà ces molécules amaigrissantes, alors qu’ils ne sont que quelques dizaines de milliers à entrer dans les critères stricts du remboursement.

Rien à voir avec la France : même si la prescription, jusque-là réservée aux spécialistes, a été ouverte aux généralistes depuis juin, les ventes progressent pour l’instant assez lentement. Fin octobre, on comptait ainsi seulement 77 000 patients en cours de traitement dans l’Hexagone, selon les données d’Iqvia pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. "Beaucoup de personnes en situation d’obésité s’interrogent, mais le médicament est cher, et nous n’avons pas l’habitude, dans notre pays, de devoir payer de notre poche des traitements efficaces", résume Anne-Sophie Joly, la présidente du Collectif national des associations d’obèses.

Des données longtemps jugées insuffisantes

Pour obtenir le remboursement d’un traitement, mais aussi négocier son prix dans des conditions favorables, un industriel doit en premier lieu bénéficier d’une bonne évaluation de la HAS, et plus précisément de sa "commission de la transparence". Or, Wegovy en 2022, puis Mounjaro en 2024, ont tous deux initialement obtenu la plus… mauvaise note possible. Elle autorisait certes un remboursement, mais mettait les laboratoires en mauvaise posture pour leurs revendications tarifaires. En cause, un manque de données, à l’époque, sur l’amélioration des risques associés à l’obésité, cardiovasculaires notamment. Marcel Lechanteur, le PDG de Lilly France, s’en agace encore : "Cette analyse était tellement éloignée de la réalité de ce qu’apporte notre médicament pour les patients qu’il nous a paru à ce moment-là inutile de poursuivre les discussions".

Fait rare, en particulier en France, les deux industriels ont donc lancé leur médicament directement sur le marché, sans attendre de remboursement. Puis, les données issues d’études cliniques s’accumulant, ils ont chacun redéposé leur dossier. Et ont obtenu, cette fois, une notation un peu meilleure. Si l’avis concernant Mounjaro vient à peine d’être rendu, celui concernant Wegovy était déjà disponible depuis septembre 2024. Il aurait dès lors théoriquement été possible de démarrer les négociations avec l’État sur les prix, dernière étape avant un possible remboursement, sauf que… les pouvoirs publics ont demandé une nouvelle évaluation, médico-économique cette fois. Justement celle diffusée cet été : en guise de conclusion, ses experts indiquaient "s’interroger sur la capacité du système de santé à prendre en charge la demande […] en particulier en soins primaires (NDLR : pour les prescriptions chez le généraliste)". Un euphémisme administratif pour dire qu’à l’évidence, la collectivité n’aura pas les moyens de rembourser largement ce produit.

"Sidération et pessimisme"

"Comme beaucoup de mes collègues, je suis passée d’un état d’euphorie à l’idée d’avoir enfin des médicaments pour mes patients, à une forme de sidération et de pessimisme", regrette le Pr Judith Aron-Wisnewsky, spécialiste de la nutrition à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et présidente du groupement de coordination des centres spécialisés obésité. Les laboratoires font bien sûr valoir les économies qui résulteront d’une amélioration de l’état de santé des personnes ayant perdu du poids – mais ils peinent à se faire entendre, la HAS jugeant de son côté ces économies difficiles à évaluer, et donc à prendre en compte dans la négociation.

En l’état, sa commission de la transparence préconisait déjà de réserver le remboursement aux personnes souffrant d’obésité sévère ou massive - avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 35 (100 kilos pour un 1,7 mètre par exemple) et des pathologies associées. Soit deux millions de personnes au plus. Mais même ainsi, la facture semble encore trop lourde. Depuis, les négociations de prix avec l’Etat ont fini par s’ouvrir officiellement mais… le gouvernement a, selon nos informations, demandé une nouvelle étude à la Haute autorité de santé, pour définir plus précisément la population éligible au remboursement. Autrement dit, la restreindre encore plus.

L'obésité est une pathologie coûteuse pour la société, et pas uniquement pour notre système de sécurité sociale.

L'obésité est une pathologie coûteuse pour la société, et pas uniquement pour notre système de sécurité sociale.

© / Lucile Laurent / L'Express

A ce stade, plusieurs hypothèses se trouvent sur la table. Par exemple, réserver le remboursement aux patients suivis par des spécialistes de l’obésité. Une piste qui n’a pas la faveur des médecins : "Nous sommes peu nombreux et nous devons suivre nos patients dans la durée. Cette solution risquerait surtout d’engorger le système", plaide le Pr Judith Aron-Wisnewsky. L’alternative ? Limiter le remboursement à l’obésité massive (IMC supérieur à 40). Ou encore garder un IMC à 35 mais préciser davantage la liste des pathologies associées ouvrant droit à une prise en charge. La ministre de la Santé, Stéphanie Rist, devra trancher, probablement début 2026.

Quoi qu’il en soit, tout dépendra aussi du prix sur lequel les autorités et les laboratoires s’accorderont. Une discussion délicate, encore complexifiée par les annonces de Donald Trump sur le prix des médicaments aux Etats-Unis, qui devront désormais s’aligner sur les tarifs les plus bas constatés dans les autres pays développés. Une puissante incitation pour les fabricants à éviter de concéder trop de réductions à leurs clients européens…

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