Sciences. Les médicaments contre l’obésité ont un défaut de taille : leurs effets disparaissent dès l’arrêt des traitements.
Publié le 19/12/2025 à 07:45

Les traitements médicamenteux contre l'obésité permettent de perdre du poids, mais ne réparent pas les tissus endommagés par l'obésité.
afp.com/SCOTT OLSON
Le Pr Judith Wisnewsky-Aron n’est pas le genre de médecin à louvoyer en matière d’avis médicaux. Face à ses patients, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, comme face à un journaliste, cette grande spécialiste du surpoids, présidente du groupement des centres spécialisés de l’obésité (CSO), s’attache à exprimer les choses de la manière la plus directe possible. Il en va de ses principes, mais également de la vie de ses patients : les traitements sont généralement mieux suivis si l’on sait ce qui nous attend.
Devant les personnes qui lui demandent "quand" ils pourront arrêter leurs traitements contre l’obésité, les fameux Ozempic, Wegovy ou Mounjaro, l’experte, centrale sur les questions de prise en charge, ne déroge pas à cette règle : "Pour le moment, la question ne se pose pas. Ce ne sont pas des molécules que l’on peut arrêter", précise-t-elle fermement, quitte à décevoir ceux qui espéraient que quelques injections suffisent pour les remettre sur le chemin de la minceur.
L’énoncé est certes abrupt, mais nécessaire. Les analogues du GLP-1, ou "traitements médicamenteux de l’obésité" (TMO), ne font qu’imiter les hormones de satiété : sous cette substance, les patients ne finissent plus leurs assiettes et arrêtent de grignoter. Ils peuvent perdre jusqu’à 15 - 20 % de leur poids, selon les formules et les molécules, mais l’obésité, elle, ne guérit pas pour autant. La manière dont les patients stockent la nourriture, leur métabolisme, continue de dysfonctionner.
70 % du poids revient à l’arrêt
Si bien qu’au moindre arrêt des injections, la faim et le stockage de gras s’aggravent. "L’arrêt du TMO s’accompagne le plus souvent d’une reprise pondérale significative, de l’ordre de deux tiers (70 %) du poids perdu au cours de l’année", écrivait Judith Wisnewsky-Aron le 25 novembre dans une "prise de position" des centres de prise en charge qu’elle préside, un document qui centralise l’avis scientifique des membres de ces structures sur les traitements.
Plusieurs études, dont une analyse de l’essai clinique SURMOUNT-4, publiée en novembre 2024 dans la revue scientifique Jama Internal Medicine montrent également une dégradation des indicateurs de santé. Sans GLP-1, le taux de cholestérol, la pression artérielle ou encore la glycémie se délitent. De quoi laisser penser que les "comorbidités", ces maladies associées, grimpent en flèche dès l’arrêt des traitements, et continuent d’abîmer le cœur, les articulations et les nombreux autres organes touchés par les maladies du surpoids.
Un retour en arrière que connaissent trop bien les spécialistes. C’est ce qu’il se produit après chaque perte de poids, et qui fait que l’obésité est si coriace : en éliminant du gras, l’organisme perd aussi de la masse maigre, du muscle. Des tissus qui contribuent à la consommation en énergie de notre métabolisme, et donc à nous garder minces. Lorsqu’il maigrit, le corps a besoin de moins d’apport pour fonctionner, et va donc avoir tendance… à stocker juste après.
Les GLP-1 ne réparent pas
Un cercle vicieux d’autant difficile à contrer que les traitements médicamenteux peuvent faire perdre beaucoup de masse maigre, et semblent ne pas réparer les tissus endommagés. "On aimerait que ces médicaments restaurent les fonctions en lien avec lien avec le comportement alimentaire. Sauf qu’aujourd’hui, les données montrent que ce n’est pas le cas, il n’y a pas de reprogrammation définitive", explique Sébastien Czernichow, co-coordinateur du réseau national de recherche clinique sur la nutrition (FORCE), chef de service de nutrition de l’hôpital Georges-Pompidou.
Face à ces données, les experts s’accordent à dire qu’il faudrait prendre les GLP-1 sans jamais s’arrêter, comme de nombreux médicaments contre la tension ou les troubles cardiaques par exemple. "Le risque, c’est qu’un nouveau cycle de perte et de reprise soit très mal vécu et que la situation se dégrade fortement en cas d’arrêt", résume Jean-Michel Oppert, docteur en nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Une prescription à vie en somme, mais qui s’annonce d’ores et déjà difficile à tenir : une fois le clair du gras perdu, le poids stagne, et avec lui le moral des patients.
Se piquer - seule manière de s’administrer le produit pour le moment - devient rapidement une corvée, faute de nouveaux résultats encourageants. Résultat, une majorité de patients arrêtent la première année, comme le montre notamment une étude présentée en septembre 2025, au congrès annuel de l’Association européenne pour l’étude du diabète (EASD). Au bout de 6 mois, 31 % des 77 000 patients danois suivis pour l’occasion, avaient mis de côté leurs seringues. Des chiffres bien plus élevés que durant les essais cliniques.
D’importants effets indésirables
En cause : le prix des médicaments, commercialisés là-bas plusieurs centaines d’euros, sans remboursement, et pour plusieurs milliers de dollars aux Etats-Unis. En France, la Haute autorité de Santé (HAS) a confirmé début décembre le service médical rendu de ces produits, les engageant dans la voie du remboursement, ce qui pourrait rendre la prise en charge de longue durée plus facile. Encore faudrait-il que les patients résistent aux effets secondaires. Ils ne sont pas négligeables : jusqu’à 22 % des patients ressentent des nausées, et 17 % subissent des diarrhées ou de la constipation, selon les études.
Face à ce double constat, les experts appellent à plus d’études indépendantes pour comprendre comment mitiger les effets délétères, et pouvoir mettre en place des protocoles adaptés. "On a beaucoup moins de données sur la reprise de poids que sur les effets positifs du traitement. En ce moment, les experts discutent beaucoup de l’accompagnement des patients. Certains disaient que grâce au médicament, on pouvait abandonner les mesures sur l’alimentation, ou l’exercice physique, moi je n’y crois pas", indique le docteur Jean-Michel Oppert.
En cas d’arrêt, un suivi diététique et de l’activité physique adaptée sont importants, bien que limités. "Les données d’une étude danoise montrent un meilleur maintien du poids après amaigrissement chez les patients qui suivent un programme d’exercice structuré en même temps que le médicament GLP-1. Ceci montre l’importance des mesures de mode de vie - alimentation et activité physique - en parallèle au traitement", indique Jean-Michel Oppert. Dans un article publié en mars dans la Revue médicale suisse, les médecins des Hôpitaux universitaires de Genève recommandent également d’anticiper le sevrage, en réduisant petit à petit les doses. "Une diminution progressive (..) pourrait permettre à l’organisme de s’adapter plus efficacement […]" écrivent les experts. Le bon équilibre reste encore à trouver.

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