Géopolitique. Les pétroliers fantômes utilisés par Moscou pour contourner les sanctions européennes embarquent des membres d’équipage liés à l’armée ou aux renseignements russes.
Publié le 19/12/2025 à 09:58

Le Boracay avait fait les gros titres en France au mois d'octobre en stationnant au large de la Bretagne, avant d'être arraisonné par les autorités françaises.
afp.com/Damien MEYER
Ce sont de vieux tankers, au pavillon fluctuant et à la propriété peu claire. Des pétroliers clandestins, acquis par la Russie pour transporter et vendre son pétrole à travers le monde et contourner ainsi les sanctions européennes prises à la suite de la guerre en Ukraine. Cette flotte fantôme russe, que les Européens tentent pourtant d’entraver, servirait également Moscou à des fins d’espionnage, selon plusieurs services de renseignement occidentaux.
Selon la chaîne américaine CNN, la présence à bord de ces tankers, depuis plusieurs mois, d’hommes liés aux services secrets et à l’armée russes inquiète les Européens. Plusieurs d’entre eux appartiennent à la société Moran Security, une entreprise privée de sécurité liée à l’armée et aux renseignements russes. Enregistrée en Russie et à Bélize, elle propose ses services dans le domaine de la logistique internationale, de la sécurité maritime ou des renseignements. Moran Security aurait également fourni des services à des milices privées, notamment le groupe paramilitaire Wagner, ajoute CNN, qui cite "plusieurs sources au sein des renseignements". La société dit d’ailleurs recruter des "officiers retraités ou encore en activité" ayant servi dans les forces spéciales. Elle figure sur une liste de sanctions du Trésor américain depuis 2024 pour avoir fourni des "services armés" à des entreprises publiques russes. Et depuis environ six mois, ses hommes sont placés sur plusieurs pétroliers de la flotte fantôme russe et sont souvent les seuls nationaux Russes à bord.
De mystérieux marins russes
La présence de ces hommes parfois armés et liés aux forces russes sur ces bateaux clandestins attire de plus en plus l’attention des Européens au regard de l’armada de bateaux fantômes de la Russie, soit plusieurs centaines. Nombre d’entre eux traversent les eaux européennes, de la mer Baltique à la Manche en passant par la mer du Nord, mais également en mer Noire. Ces hommes pourraient prendre des photos des installations militaires européennes et surtout, ils semblent être chargés de surveiller le reste de l’équipage.
En témoignent les observations des marins danois et suédois, qui voient passer un grand nombre de tankers fantômes le long de la mer Baltique. Certains disent observer la présence à bord de ces bateaux de Russes qui semblent "avoir davantage de pouvoir que le capitaine lui-même", rapporte CNN. Ces membres supplémentaires, ajoutés à la liste d’équipage peu avant le départ du bateau, vont parfois jusqu’à porter des uniformes militaires et photographier certaines zones, notamment des ponts, selon le service de pilotage de l’Etat danois, DanPilot.
Le cas du Boracay arraisonné par la France
Un de ces navires clandestins a récemment attiré l’attention des autorités européennes, et notamment françaises. Il s’agit du Boracay, aussi connu sous le nom de Pushpa, qui figure sur la liste des sanctions européennes pour son appartenance à la flotte fantôme russe. Il bat pavillon du Bénin. Le bateau avait fait les gros titres en France au mois d’octobre en stationnant au large de la Bretagne, avant d’être arraisonné par les autorités françaises. Selon CNN, deux Russes - les seuls de cette nationalité à bord - y ont embarqué le 20 septembre dernier en qualité de "techniciens", mais leur activité à bord du navire demeure floue. L’un d’eux aurait travaillé pour Wagner, selon des sources occidentales. Interrogé par CNN, Alexey Badikov, le PDG de Moran Security, a indiqué "ne pas être en position de confirmer" que ces deux hommes travaillaient pour sa société.
Outre ses nombreux changements de pavillon, le navire a fait l’objet d’une surveillance rapprochée de la part des Européens, qui le soupçonnent d’être impliqué dans des survols de drones au-dessus du Danemark. Le Boracay longeait en effet les côtes danoises lorsque des survols de drones avaient perturbé le trafic de l’aéroport de Copenhague et approché des bases militaires. Le bateau, qui transportait "une importante cargaison de pétrole" de la Russie vers l’Inde, avait finalement été arraisonné par la France. Et ce, en raison "des incohérences présentées par le pétrolier quant à sa nationalité" et son "absence de pavillon", selon le procureur de Brest.
Aucun drone n’avait été trouvé à bord, selon CNN. Badikov, de Moran Security, a opposé quant à lui à la chaîne le fait qu’il serait "complètement fou" de lancer des drones depuis un pétrolier. "C’est techniquement dangereux", a-t-il ajouté. Vladimir Poutine avait par ailleurs qualifié de "piraterie" l’arraisonnement du bateau. "Visiblement, ils cherchaient quelque chose, des marchandises militaires, des drones, ou des choses comme ça. Mais il n’y a rien de ça là-bas", avait-il justifié, ajoutant qu’il ne "[savait] pas dans quelle mesure il est lié à la Russie". De quoi rendre difficile, pour les Européens, de prouver la présence de Russes aux liens étroits avec Moscou à bord de ces bateaux… et leur utilisation à des fins de guerre hybride pour déstabiliser l’Europe.

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