Politique. Le Premier ministre s’est réjoui du vote du PLFSS mardi soir. Mais le scrutin laissera des traces institutionnelles, politiques et partisanes. Explications.
Publié le 10/12/2025 à 05:45

L'Assemblée nationale a adopté vendredi 5 décembre 2025 la partie recettes du budget de la Sécurité sociale, malgré la division du camp gouvernemental.
Anne-Christine POUJOULAT / AFP
Il ne jurait que par la Ve. Pierre Messmer est son modèle. Sébastien Lecornu est arrivé à Matignon fort de quelques certitudes marquées du sceau du gaullisme. Mais son désormais légendaire pull en V devait alerter sur ses goûts d’un autre temps… Le Premier ministre qui "ne voulait surtout pas reproduire la IVe République" a très vite – trop vite ? – abandonné le 49.3, le fameux article qui permet à l’exécutif de garder la main face au pouvoir législatif. Il avait une autre priorité : "Un socle commun bien organisé". "Il n’y a pas de négociation possible si ce n’est pas bien rangé chez nous", disait-il.
Sébastien Lecornu a réussi mardi là où ses prédécesseurs avaient échoué : l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de financement de la Sécurité sociale par 247 voix pour et 234 contre. Mais pour ce faire, s’est-il assis sur ses principes ? Ou a-t-il compris que son fameux modèle, celui de la Ve République, n’était plus d’actualité, au point de lui donner le dernier coup de pelle ?
Un Premier ministre faible
Sébastien Lecornu a déposé sa couronne au profit d’un Parlement roi. Loin d’avoir l’impuissance honteuse, il l’a brandie en étendard. Le chef du gouvernement, autoproclamé "plus faible de la Ve République", s’est transformé en "ministre des relations avec le Parlement de facto" - les mots sont d’un ministre - pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. "Il a conscience que préempter le débat sur le deal final tuerait le processus qui peut le permettre", glissait un membre de l’exécutif mi-novembre. Les concessions, de la suspension de la réforme des retraites à la hausse de la CSG, se sont multipliées comme des petits pains pour arracher les voix manquantes à l’Assemblée nationale. Et qu’importent les fractures au sein du socle commun. Un Premier ministre "faible" n’est-il pas condamné à lâcher ? Lecornu, plus facilitateur que réalisateur.
"On n’est pas aidé", glissait le Normand la semaine dernière. Comprenez-les : Édouard Philippe et Bruno Retailleau, réputés pour leur armature idéologique, sont très "Ve République". "Le Premier ministre n’est pas l’animateur de la vie parlementaire", lâchait le premier sur LCI le lundi 8 décembre. Le compromis à tout prix, très peu pour eux ! Le 49.3 n’est pas le meilleur antidote à cela ? Ainsi, les deux patrons de parti ont ferraillé contre un PLFSS pas "votable" ou "pas satisfaisant".
"Avec la suspension de la réforme des retraites, la rue saura qu’on peut avoir la peau d’une réforme votée. Là est le virus de l’instabilité", juge Bruno Retailleau. Ajoutez à cette intransigeance une volonté de rompre avec un pouvoir finissant en vue de 2027, et les ingrédients de la désunion sont réunis.
Face à deux temporalités
La politique, c’est aussi, et surtout, la gestion du temps. Problème numéro un : Sébastien Lecornu n’en a pas beaucoup. Problème numéro deux : parmi ses amis de ce qu’il était convenu d’appeler le socle commun, tout le monde ne se trouve pas sur le même fuseau. Le Premier ministre avait déjà beaucoup à régler, il a également compris qu’il avait affaire à un choc de temporalités. Sur le méridien 2025 se trouvent ceux qui, notamment à travers leurs pérégrinations dans leur circonscription, ont bien en tête qu’une majeure partie de la population observait, affligée, le spectacle à l’Assemblée. Nos représentants de la nation n’ont pu échapper au dernier grand baromètre du Cevipof sur les "priorités françaises", publié il y a quelques jours. Il confirme le sentiment de malaise et, pire encore, de désintérêt qui traverse le pays depuis maintenant plusieurs mois vis-à-vis de la chose politique : à la question "quel est, selon vous, le problème le plus important auquel le pays est confronté aujourd’hui ?", les Français répondent en premier lieu… la vie politique elle-même.
Les manœuvres criardes pour protéger son nom ou son camp, très peu pour eux. Quel député voudrait, plus qu’il ne le fait encore, prendre part à la crise de régime ? Sébastien Lecornu espérait bien pouvoir compter sur la pression populaire pour sauver sa peau et accessoirement faire voter le double budget soumis aux députés. Fin 2024, Gabriel Attal s’était adonné au petit jeu de faire danser son successeur à Matignon, Michel Barnier, pour obtenir des postes au gouvernement et solidifier son influence. "Ça n’a pas été très bon pour mon image, j’y ai laissé des plumes", admet un an plus tard le patron du groupe EPR qui, même en ayant le regard tourné vers la prochaine présidentielle, espère récolter les fruits de sa magnanimité actuelle. Le chef de file des députés LR à l’Assemblée Laurent Wauquiez ne dit pas autre chose : "Notre devoir est d’être du côté de l’ordre et de la stabilité, c’est un choix d’ontologie politique. On n’est pas facteur de bordel à droite : on ne fait pas tomber un gouvernement pour rien, on ne fait pas de chantage à la censure, on cherche des solutions." Et si "on" peut affaiblir en prime l’autorité de Bruno Retailleau, pourquoi se priver d’un tel plaisir ?
Sur le méridien 2027 en revanche, autre posture, autre partition. Le compromis versus la pureté. Alors que la Ve République tremble, certains avaient en tête de solidifier leur électorat de premier tour. Suivez le regard des macronistes agacés, vous trouverez non loin un Édouard Philippe qui ne compte plus transiger sur ses principes. "Principes" que d’aucuns appelleraient "marqueurs" pour une campagne qui a déjà débuté. Il en va de même pour Bruno Retailleau, aux positions divergentes de celles de Laurent Wauquiez vis-à-vis des attentes du peuple de droite et des "honnêtes gens". Avez-vous remarqué ? Les moins ouverts aux concessions sont chefs de parti sans écharpe de député… Leurs troupes au Palais Bourbon n’ont d’ailleurs pas suivi au doigt et à l’œil leurs recommandations ; faut-il y voir une raison ?
Le schisme du socle commun n’est pas ici tant idéologique que stratégique. Avec une interrogation sous-jacente : que réclament les électeurs ? La stabilité à tout prix ou la défense rigide de convictions ? Peut-être les deux. "Les gens sont paradoxaux : ils nous demandent de faire des compromis aujourd’hui et demain nous reprocheront de les avoir faits", note une ministre. Cette ambivalence percute de plein fouet le socle commun. Sa désintégration est le fruit de dissensions tactiques… Mais aussi le produit d’une opinion désorientée.
"Il y a un an, qui aurait cru cela possible ?" : le 2 septembre, Emmanuel Macron n’est pas mécontent de lui, cela lui arrive parfois. Il a convié autour de sa table les présidents des partis du socle commun élargi à la droite : Gabriel Attal, Édouard Philippe, François Bayrou, ainsi que Bruno Retailleau, présent pour la première fois. Il a bien fait de réunir ces responsables à l’époque car, à peine trois mois plus tard, cette tablée a volé en éclats. Façon puzzle. Le vote du PLFSS laissera des traces.

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