"Sur le photovoltaïque en France, il est temps de dire stop !" : le regard de Laetitia Puyfaucher

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L’énergie photovoltaïque a beau bénéficier d’une image très positive aux quatre coins de France, son déploiement doit être impérativement freiné après des années de développement débridé, estime Laetitia Puyfaucher, auteure d’un rapport publié par l’Institut Thomas More. En effet, la multiplication des panneaux solaires s’accompagne d’une multitude d’effets négatifs : surcoûts pour le réseau électrique, les finances publiques et la facture d’électricité des Français, vulnérabilité aux cyberattaques, et dorénavant, alourdissement du bilan carbone… La grande majorité des pays dans le monde a intérêt à développer massivement l’énergie du soleil, convient l’ancienne collaboratrice de The Economist. Mais la France, patrie d’un mix électrique nucléaire-hydraulique et largement surcapacitaire, y perdrait. Un avertissement à destination des décideurs, alors que le débat sur la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE-3) se poursuit.

L’Express : Pourquoi avez-vous choisi d’intervenir dans le débat sur l’énergie en France, en ciblant particulièrement la filière photovoltaïque ?

Laetitia Puyfaucher : Parce qu’il y a un certain nombre de vérités à rétablir concernant cette source d’énergie. La première, je l’ai découverte en faisant mes propres scénarios de décarbonation, à la manière de RTE. Je me suis rendu compte que, passé un certain seuil, plus on développe du photovoltaïque en France, plus on obtient un mix électrique carboné !

La raison en est simple : la Chine s’est imposée en quelques années comme l’unique fournisseur mondial de panneaux solaires avec des parts de marché supérieures à 95 %. Or, son système électrique dépend encore massivement du charbon alors qu’en France, nous avons le mix électrique le plus décarboné au monde, à moins de 22g CO₂- eq/kWh. Un panneau fabriqué en Chine génère environ 43 g CO₂-eq/kWh sur l’ensemble de son cycle de vie. Continuer à déployer des panneaux solaires, en France, n’est donc pas forcément une bonne chose d’un point de vue environnemental. Méfions-nous des idées reçues. En matière d’énergie, elles sont légion.

Y a-t-il d’autres idées préconçues sur le solaire en France ?

Oui. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette énergie n’a rien de gratuit. Elle coûte même cher en raison des subventions versées aux producteurs. Les charges de service public de l’énergie (CSPE), liées aux tarifs d’achat garantis, atteignent 3,8 milliards d’euros en 2025 et devraient monter à 4,4 milliards en 2026, pour un total cumulé de 31,9 milliards depuis 2003. Les Français sont d’ores et déjà engagés pour 30 à 51 milliards d’euros supplémentaires restant à payer. Le problème ? La programmation pluriannuelle de l’énergie dans sa version de mars 2025 prévoit encore entre 9 et 55 milliards de soutiens supplémentaires d’ici à 2060. Il faut ajouter à cela les coûts de raccordement et de renforcement du réseau, qui augmentent fortement à mesure que le photovoltaïque se développe. Cela fait beaucoup.

A titre d’exemple, un maximum de 59,6 GW a été atteint en France le 22 juin 2017 à 13 heures. Or en période estivale, notre parc nucléaire offre une disponibilité allant de 30 à 50 GW. Un chiffre auquel s’ajoutent notre parc hydraulique, 25,4 GW d’éolien (certes, il peut ne pas y avoir de vent) et d’ores et déjà 25,9 GW de solaire. Il est légitime dès lors de s’interroger sur la valeur ajoutée de panneaux solaires supplémentaires. Leur production devrait soit être écrêtée pour maintenir l’équilibre du réseau, soit évincer une production nucléaire déjà existante, avec pour conséquences un bilan carbone global dégradé – le nucléaire étant huit fois moins carboné – et un renchérissement du mix électrique, hydraulique et EnR préexistant qui a déjà été payé ou qui est en passe de l’être par les Français.

De manière générale, notre pays produit bien plus d’électricité qu’il n’en consomme. Cette situation devrait durer encore plus d’une dizaine d’années. Il ne sert donc à rien d’empiler à la hâte les moyens de production. N’oublions pas, enfin, que la dépendance vis-à-vis de la Chine pour les panneaux solaires crée une vulnérabilité stratégique majeure. A tout moment, Pékin pourrait réduire sa production, générant ainsi des difficultés d’approvisionnements. Mais surtout, plusieurs rapports américains de cybersécurité ont révélé la présence de modules de communication non documentés dans certains onduleurs chinois pilotables à distance. Ces petits appareils qui transforment le courant continu issu des panneaux solaires en courant alternatif utilisable par le réseau sont largement déployés en Europe. Utilisés avec de mauvaises intentions, ils pourraient provoquer des coupures coordonnées et des instabilités majeures sur le réseau !

Le photovoltaïque bénéficie pourtant d’une très bonne image. Comment l’expliquez-vous ?

J’évoque dans le rapport le biais politique du "ruban à couper" : pour un élu, inaugurer une centrale solaire sur le toit d’une école s’avère bien plus valorisant que demander une meilleure productivité du parc nucléaire existant, même si cette dernière serait bien plus efficace pour la collectivité. Le solaire permet à l’élu, au chef d’entreprise ou à tout un chacun de "montrer qu’il agit" plutôt que de réellement résoudre un problème énergétique. Le discours des grandes entreprises du secteur de l’énergie peut également créer la confusion. Implantées dans de nombreux pays, elles défendent à juste titre, le développement du photovoltaïque oubliant de dire qu’en France, la présence du nucléaire et de l’hydraulique change la donne. Il faut bien comprendre que notre pays est une exception dans le domaine de l’électricité. Pendant très longtemps, celle-ci était défendue au niveau politique de manière transpartisane. Ce n’est malheureusement plus le cas actuellement.

Que préconisez-vous ?

Plusieurs leviers peuvent être activés. Dans un premier temps, il nous faut sans doute réaliser un audit de sécurité des installations solaires critiques et interdire pour ces systèmes l’usage d’onduleurs ne respectant pas les standards européens de cybersécurité. Il serait bon que l’Europe rétablisse les mesures anti-dumping qu’elle avait fait sauter en 2018. A l’époque, on se disait qu’on aurait une transition énergétique à bas coût grâce aux panneaux photovoltaïques importés de Chine. C’était une erreur majeure : en quelques années à peine, le rouleau compresseur chinois a écrasé toute concurrence. Nous recommandons également de suspendre tout nouvel engagement public en faveur de la filière photovoltaïque en raison du coût déjà très élevé des subventions, de la surcapacité massive pendant les heures ensoleillées, et de la problématique du raccordement au réseau. On peut également envisager la création de stocks stratégiques d’électricité sous forme de photovoltaïque couplé à des batteries. Ce système conçu pour fonctionner "hors réseau" renforcerait notre résilience en cas de situation de crise.

Certains vous reprochent de vouloir couler une filière déjà malmenée. Que leur répondez-vous ?

J’ai été entrepreneur pendant 23 ans. Aucun ne peut réussir s’il ne sait pas estimer correctement son marché. Tout chef d’entreprise qui veut se lancer dans le secteur du solaire en France sait bien que dans notre pays, il n’y a pas besoin de production électrique supplémentaire à horizon de dix ans. Voire au-delà. Dès lors, pourquoi la puissance publique devrait-elle subventionner ce type d’activité ? Encore une fois, la France est l’exception, le reste du monde reste à décarboner et il représente un marché considérable pour ces mêmes entreprises. Elles peuvent aussi rester sur le marché national et se concentrer sur des composants stratégiques comme les onduleurs, les logiciels de pilotage de la production, les batteries, le solaire hors réseau, etc. Si demain l’Europe interdit ces produits venant de Chine, cela créera un marché considérable !

La Chine cherche désormais à implanter ses usines sur le sol européen. Est-ce une catastrophe ou une opportunité pour l’Europe ?

Les deux thèses s’affrontent. Effectivement, la présence des producteurs chinois sur le sol européen peut nous permettre de monter en gamme. Toute la question est de savoir si l’Europe a la capacité d’imposer à la Chine des clauses favorables en échange de l’ouverture de son marché. Jusqu’ici, le Vieux Continent n’a pas encore démontré qu’il pouvait y parvenir. A l’inverse, d’autres zones du monde ont réussi. C’est le cas de l’Inde. Depuis 2022, elle applique des droits de douane importants sur les modules et les cellules photovoltaïques importés de Chine. En parallèle, elle a mis en place un programme pour soutenir financièrement ses fabricants nationaux. Ces mesures ont déjà permis de tripler la capacité de production de modules en deux ans. Un exemple à méditer pour l’Europe qui doit absolument se ressaisir.

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