Les vampires n’existent pas ? En êtes-vous si sûr ? Quel manager n’a jamais croisé, dans les couloirs ou sur Teams, l’équivalent professionnel du comte Dracula ? Celui ou celle dont on sait, dès la première seconde, qu’il va nous solliciter, champion hors catégorie de la complainte et de la confidence. Lui donner notre numéro de portable personnel, et c’est l’assurance de recevoir des centaines de SMS impromptus – "je ne te dérange pas là ? Tu me dis, j’en ai juste pour cinq secondes…" – centrés sur leur petite personne. A peine le manager l’a-t-il salué qu’il a déjà le droit au récit de sa vie, à ses intolérances alimentaires et à ses déboires sentimentaux. L’instant d’après, on en est au carnet de santé, aux plats de la belle-mère et aux vacances. Et le pire ? Ce sont ceux qu’on ne repère pas tout de suite, notamment au travail.

"Ils ou elles entrent dans vos vies, parfois aussi furtivement qu’une ombre et vous ferrent, tandis que vous croyez toujours mener la danse, voire naïvement conduire le bal. Au contraire des pervers narcissiques, ils ne cherchent pas à vous détruire puisqu’ils dépendent de votre vigueur", décrit le docteur Stéphane Clerget (Les vampires psychiques, comment les reconnaître, comment leur échapper, Livre de poche 2019). A l’image de Vlad l’Empaleur, alias le comte Dracula de Bram Stoker, qui pompe l’énergie la nuit venue, ce vampire des temps modernes erre et traque ses victimes dans les couloirs de l’entreprise ou sur Teams, ne craignant ni l’ail ni le pieu : il est "capable d’aimer, pourvu qu’il soit repu", observe le psychiatre. Il joue entre l’affect et le professionnel. Mais "il n’y a pas de profil type", affirme le chercheur.

Ces personnalités envahissantes puisent leur énergie et leur motivation chez les autres, façon "coucou" ou bonne copine, tout en évitant soigneusement de se dévoiler. Or, par cet acte, ce salarié "peut altérer le fonctionnement d’un autre individu et nuire à la dynamique de son développement", explique le spécialiste. Devenir l’"hôte" de ce type de parasite, c’est subir les méfaits de cette appropriation de soi par un autre. Selon le chercheur, il peut s’agir de "ce collègue qui vampirise votre expertise", mais aussi, à l’opposé, de ce chef "qui se nourrit de votre travail sans jamais vous accorder la moindre reconnaissance. Beaucoup d’entre eux occupent des postes élevés ou enviables… Ils ont su profiter de l’énergie de leur entourage pour se hisser au sommet", explicite le psychiatre.

Tous vampires ?

Comment reconnaître ce type de personnalité sans sombrer dans la paranoïa ? "La fatigue psychique, autant que physique, est, chez la personne qui en est victime, le plus important des symptômes consécutifs à des conduites de vampirisation", selon Stéphane Clerget. "[Mes patients] me répétaient avoir été vidés de leur substance. Ils se comparaient à des enveloppes vides, des zombies", raconte de son côté le psychiatre Gérard Lopez dans Le vampirisme au quotidien (L’Esprit du temps, 2001). Selon lui, les vampires sont la conséquence de leur éducation, élevés dans des familles où régnait un tyran domestique : "Les vampires reproduisent les abus narcissiques d’emprise, plus ou moins féroces, auxquels ils ont été confrontés dès leur naissance". Et d’ajouter : "quiconque a été placé sous l’emprise d’un vampire le devient".

Il peut arriver à chacun d’entre nous d’adopter ponctuellement des comportements vampiriques pour se recharger en énergie vitale, sans pour autant sombrer dans un véritable vampirisme psychique, nuance Stéphane Clerget. "Le vampirisme fait partie des échanges sociaux normaux", indique l’expert. Mais les vampires certifiés, eux, "ne trouvent jamais leur compte", souligne-t-il. Les insatisfaits, les inassouvis. Autres indices : selon le docteur Lopez, les vampires psychiques, "ignorent tout sentiment de culpabilité et profèrent mensonges et fausses promesses pour déstabiliser leurs victimes". C’est par exemple la collègue qui ne parle que d’elle et se sauve quand on évoque un sujet qui nous tient à cœur.

Quand on les détecte, il faut avant tout se défaire de leur emprise. Conserver pour soi l’énergie qu’ils recherchent, ne pas se laisser amadouer. Au travail, les maintenir à distance, sans affect. Reprendre sa place. Et à la moindre baisse d’énergie, vérifier que l’enjôleur aux crocs acérés ne rôde pas encore dans les parages…