Tech. Les formations courtes et intensives supplantent progressivement les cursus universitaires dans certains secteurs. Un phénomène encouragé jusqu’à la Maison-Blanche, relève notre chroniqueur.
Publié le 12/12/2025 à 05:45

Peter Thiel, le cofondateur de PayPal et Palantir, encourage les jeunes à quitter l'université pour monter un projet entrepreneurial, scientifique ou associatif.
Getty Images via AFP
Avec l’irruption de l’intelligence artificielle, la question de l’utilité des études supérieures et des diplômes qui les sanctionnent revient sur le devant de la scène. Alex Karp, le dirigeant de l’entreprise américaine spécialisée dans l’analyse de données Palantir, a tranché. Son Meritocracy Fellowship est un programme de quatre mois destiné à des bacheliers américains. Vingt-deux jeunes ont été retenus pour la première cohorte, payés environ 5 400 dollars par mois, certains ayant renoncé à des admissions dans des établissements de l’Ivy League. Les meilleurs se voient proposer à la sortie un poste à plein temps.
Les justifications de Karp sont frontalement idéologiques : les admissions dans les universités américaines reposent, selon lui, sur des critères "viciés" et celles-ci se seraient "détournées de leur voie" en récompensant la conformité plutôt que l’originalité. Le slogan résume le projet : "Evitez les dettes. Évitez l’endoctrinement. Obtenez le diplôme Palantir". On peut y voir un paradoxe amusant : ce discours anti-diplômes est porté par un natif de New York, qui parle allemand et français, lui-même bardé de diplômes (doctorat de droit et de sciences sociales). Karp ne nie pas la valeur de sa propre formation mais considère que le système actuel ne produit plus les profils dont il a besoin.
L’influence de Peter Thiel
L’initiative de Palantir s’inscrit dans une filiation très claire avec la Thiel Fellowship. Peter Thiel, cofondateur et président du conseil d’administration de Palantir, a lancé dès 2010, via sa fondation, un programme qui offre 200 000 dollars sur deux ans à des jeunes de moins de 23 ans pour qu’ils quittent l’université et se consacrent à un projet entrepreneurial, scientifique ou associatif. La fac devient une référence parmi d’autres, souvent plus coûteuse et moins prédictive de la performance que quelques mois de travail sur le terrain.
Au-delà du coup marketing, le dispositif de Palantir coche toutes les cases du basculement vers le recrutement sur les compétences que l’on observe plus largement. Un rapport de l’organisme de formation en ligne Western Governors University, relayé par Fortune, indique que 78 % des employeurs américains déclarent désormais que l’expérience professionnelle compte davantage ou autant que le diplôme dans leurs décisions d’embauche. Ils sont également 86 % à reconnaître les certifications non diplômantes comme des indicateurs pertinents pour juger un candidat. La presse britannique note que, dans certains secteurs de la tech, seule la moitié des travailleurs a encore un diplôme. Une autre étude, signée par le Burning Glass Institute et la Harvard Business School, montre qu’entre 2014 à 2023, le nombre annuel de postes pour lesquels les employeurs américains ont supprimé l’exigence de diplôme a été multiplié par quatre, même si tous n’ont pas été pourvus avec des recrues sans diplômes.
La mode des "bootcamps"
La formation initiale s’adapte. Au début des années 2010, Course Report ne recensait qu’une trentaine de programmes courts et intensifs appelés "bootcamps" dans le monde. En 2025, son annuaire en compte plus de 600. L’un de ces acteurs, Career Karma, estime que la filière des "bootcamps" dédiés à la programmation informatique a produit environ 69 000 diplômés aux Etats-Unis en 2024 et un chiffre d’affaires de plus de 800 millions de dollars. Ce format se développe désormais dans le marketing, le management ou encore la finance. La Maison-Blanche a emboîté le pas et fixé un objectif explicite d’un million de nouveaux apprentis par an. Elle demande à ses agences de réorienter les financements fédéraux en ce sens. Le Département du Travail vient d’amorcer ce virage avec près de 84 millions de dollars de subventions aux Etats fédérés pour étendre l’apprentissage dans la technologie, l’intelligence artificielle, la supply chain ou la construction.
L’école la plus en vogue dans les milieux tech, Alpha School, pousse la même logique fondée sur les compétences. Avec seulement deux heures d’apprentissage académique via des applications, le reste de la journée est consacré au développement de 24 aptitudes personnelles : leadership, esprit d’entreprise, prise de parole, compréhension du jargon financier, etc. Cela passe par des jeux de rôle : assurer une keynote façon TEDx, bâtir un business plan et lever 10 000 dollars de financement, gérer un bien Airbnb, ou encore, tenir un food truck. Une bonne façon de s’aguerrir face à la déferlante de l’intelligence artificielle.

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