Le débat public ne porte plus que sur de nouvelles taxes sur le capital, les "superprofits" ou les grandes fortunes. Si les libéraux, qui ont perdu l’initiative sur le terrain fiscal, veulent à nouveau peser, ils doivent cesser de jouer en défense et proposer des mesures simples, lisibles, assumées. J’en avance une : supprimer totalement l’impôt sur le revenu frappant les dividendes, en ne conservant que les prélèvements sociaux.

Orienter l’épargne là où elle est utile

Depuis des années, les partisans d’une hausse massive de la fiscalité du capital occupent l’espace intellectuel, chiffres bidons et fake news à l’appui, en expliquant que la richesse financière est sous-taxée et que les dividendes ne profitent qu’à une infime minorité de foyers. Il est temps de reformuler le problème correctement. La question n’est pas de savoir si les actionnaires sont "gentils" ou "méchants" mais si notre système fiscal oriente l’épargne là où elle est la plus utile : vers les fonds propres des entreprises, c’est-à-dire l’investissement, l’innovation, la transition écologique. Tant que nous ne remettrons pas cette question au centre, nous laisserons le champ libre à ceux qui voient dans tout dividende un scandale moral.

Or, nos entreprises ont un besoin colossal de capital pour décarboner l’industrie, numériser les services publics et privés, financer l’intelligence artificielle, moderniser les infrastructures, former les salariés, augmenter les salaires… Il faudra des centaines de milliards de fonds propres supplémentaires au cours des prochaines années.

On socialise le risque et surtaxe la récompense

La France adore les aides et les crédits d’impôt. De nombreuses subventions coûtent des milliards d’euros par an, sans évaluation de leur efficacité. Dans le même temps, la voie la plus directe du financement qu’est l’épargne investie en actions et rémunérée par le dividende reste pénalisée. Nous socialisons le risque - par la dépense publique - tout en surtaxant la récompense - le dividende. C’est exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire si l’on veut un pays dynamique et prospère.

On a beaucoup entendu que la "flat tax" de 30 %, ou prélèvement forfaitaire unique (PFU), avait transformé la France en paradis fiscal pour les rentiers. C’est archifaux. Une entreprise française paie 25 % d’impôt sur ses bénéfices. Sur 100 euros de profit, il lui reste 75 euros distribuables. Le PFU de 30 % ramène le dividende net dans la poche de l’actionnaire à 52,50 euros. Au total, 47,5 % du profit initial est capté par l’impôt, sans compter d’éventuelles taxes locales ou contributions spécifiques : nous sommes loin du "cadeau fiscal". À l’échelle internationale, la France figure d’ailleurs dans le haut du classement de l’OCDE pour la taxation des dividendes des hauts revenus. Autrement dit : nous avons fait un pas dans la bonne direction avec le PFU, mais nous restons un pays à trop forte pression fiscale sur le capital.

Le PFU se compose de 12,8 % d’impôt sur le revenu et de 17,2 % de prélèvements sociaux. C’est ce bloc de 12,8 % que je propose de supprimer. Combien coûterait la mesure ? Les sources budgétaires évaluent à un peu plus de 4 milliards d’euros en 2022 les recettes issues du PFU sur l’ensemble des revenus du capital - dividendes, intérêts, plus-values mobilières. Les dividendes représentent environ la moitié des revenus mobiliers des ménages situés en haut de la distribution. On peut donc estimer, à grands traits, que la suppression de l’impôt sur le revenu uniquement sur les dividendes représenterait un manque à gagner de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros par an dans les conditions actuelles.

Une réponse à l’exil fiscal

C’est beaucoup d’argent, mais ce n’est pas hors de proportion avec d’autres dispositifs qu’on pourrait facilement supprimer en contrepartie. Que gagnerions-nous à cet "échange" ? Déjà un signal clair en faveur de l’entreprise : en exonérant les dividendes d’impôt sur le revenu, tout en maintenant les prélèvements sociaux, on augmente le rendement après impôt de l’action par rapport aux livrets réglementés, à l’immobilier locatif ou au fonds euro de l’assurance-vie. Cela incite donc l’épargne à se diriger vers le capital des entreprises. Ensuite, un renforcement des fonds propres : une fiscalité plus tempérante sur le dividende facilite les augmentations de capital et les introductions en Bourse. Enfin, moins d’optimisation et d’exil fiscal. Réduire les ponctions sur les dividendes, c’est rendre moins attrayants les montages consistant à loger ses titres dans des holdings étrangères ou à s’expatrier pour optimiser sa fiscalité.