Chronique. Tout oppose l’ancien président de la République à celui du Rassemblement national : leurs conceptions de la droite, de la politique et de la France.
Par Jean-François Copé, ancien ministre, maire (LR) de Meaux
Publié le 16/12/2025 à 12:00

Le patron du Rassemblement national Jordan Bardella lors de ses voeux le 27 janvier 2025 à la Maison de la Chimie, à Paris
afp.com/Bertrand GUAY
En politique comme ailleurs, les contrefaçons existent. Depuis deux ans, le Rassemblement national mène une véritable entreprise de récupération des électeurs LR. D’abord, en récupérant les sigles "RPR" et "UDR", il entretient la confusion pour baptiser ses groupuscules affidés. Comme si le simple fait de revêtir des initiales suffisait à capter un héritage.
Plus récemment, un renfort inattendu est venu par une formule volontairement ambiguë, donner du crédit à cette relecture opportuniste, selon laquelle Jordan Bardella ferait "penser au RPR au temps de Chirac". Offrir un brevet d’homme d’Etat à une personne de 30 ans au parcours professionnel inexistant pourrait prêter à sourire si l’enjeu n’était pas aussi sérieux. Il suffit pourtant de regarder leurs conceptions de la droite, de la politique et de la France pour mesurer l’abîme qui les sépare.
La première différence est fondamentale : ils ne parlent pas de la même droite. Ce sont deux familles politiques antinomiques sans filiation possible. Le gaullisme, le chiraquisme et même le sarkozysme se sont toujours construits autour d’un principe intangible : l’absence de toute compromission avec l’extrême droite. Il suffit d’ailleurs d’observer les discours et les méthodes de Jordan Bardella pour constater qu’il reprend tous les codes d’un parti populiste.
L’épisode du contre-budget RN publié sur TikTok est, à cet égard, un cas d’école. En moins de quatre minutes, il prétend dégager 100 milliards d’euros d’économies. Tout y est : simplification, boucs émissaires, promesses magiques et exploitation des émotions. A cette rhétorique s’ajoute une pratique désormais bien rodée : le double discours économique. D’un côté, Jordan Bardella surjoue la respectabilité libérale au Medef. De l’autre, son parti vote avec LFI à l’Assemblée près de 40 milliards de hausses d’impôts. Une honte !
La génération des "bébés Chirac"
La deuxième différence tient à la conception même de la politique. Jacques Chirac la considérait comme un métier forgé par l’expérience. C’est ainsi qu’il a formé toute la génération des "bébés Chirac" : être maire, puis député, parfois ministre, faire ses preuves devant les Français, connaître des succès comme des revers. A l’inverse, Jordan Bardella est l’incarnation même du produit politique préfabriqué. Un visage neuf pour un projet politique d’extrême droite inchangé. Car son ascension repose davantage sur un storytelling soigneusement construit que sur les épreuves du pouvoir et de la politique. Son unique expérience repose d’ailleurs sur un siège de député européen très souvent vide.
Enfin, la France de Jordan Bardella n’a rien à voir avec celle de Jacques Chirac dont le projet présidentiel "la France pour tous", promouvait le rassemblement et le dépassement des fractures sociales et territoriales, conjuguant une politique de rétablissement de l’ordre dans la rue comme dans les comptes publics, mais aussi d’encouragement au progrès économique, social, scientifique, environnemental. Une vision qui se situe aux antipodes des réflexes identitaires et des clivages instrumentalisés par le RN pour en faire leur fonds de commerce.
Sur le plan international, la rupture est tout aussi manifeste. Là où Jacques Chirac incarnait une France indépendante et respectée, le RN entretient une ambiguïté inquiétante. Imagine-t-on réellement Jordan Bardella face à Donald Trump ou encore Vladimir Poutine ? Les positions de son camp parlent d’elles-mêmes. Marine Le Pen continue de justifier l’annexion de la Crimée, son parti a été financé par des prêts russes et les élus du RN se sont à plusieurs reprises opposés ou abstenus lors des votes de soutien à l’Ukraine au Parlement européen.
Feindre de trouver une similitude chiraquienne chez Jordan Bardella relève donc de l’imposture. Laissons d’ailleurs à l’ancien président le mot de la fin. Le 11 mars 2007, dans son discours de fin de mandat, Jacques Chirac mettait en garde : "Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. […] L’extrémisme est un poison : il divise, il pervertit, il détruit tout." Une leçon pour Jordan Bardella, mais pas seulement…

il y a 9 hour
2



